Yann QUEFFÉLEC : Naissance d’un Goncourt

Avec son livre, Naissance d’un Goncourt, Yann Queffélec revient sur ses débuts d’écrivain et sur son prix Goncourt obtenu en 1985 pour Les Noces barbares.

La Lecture

Obtenir le prix Goncourt pour un deuxième roman, Les Noces barbares, Yann Queffélec a-t-il un secret ? Faut-il avoir “une gueule d’écrivain” ? Avec son livre, Naissance d’un Goncourt, Yann Queffélec revient sur ses débuts d’écrivain et sa rencontre avec sa future éditrice, Françoise Verny : “c’est l’histoire d’un souvenir, chère lectrice, cher lecteur, une histoire vraie“. Je vous emmène au coeur de cette histoire et je vous propose aussi de découvrir ce fameux prix Goncourt : Les Noces barbares.

Yann Queffélec : une gueule d’écrivain

En 1978, Yann Queffélec décide de partir faire le tour du monde en voilier. Tout est prêt. Ils sont trois à prendre la mer “sur un beau voilier vert” mais… retour au port de Belle-Île-en-Mer plus tôt que prévu. Le bateau est cassé.

Yann Queffélec : l’écriture, la mère, le père

À cette époque, Yann Queffélec écrit déjà mais c’est sa “jungle secrète” comme il dit.
Sa mère croit en lui et l'encourage :

Aime, écris ce que tu veux.

Il a dix-huit ans quand elle décède à l'hôpital. Il apprend son décès par hasard.

Moi, je pense que tu n'en as pas fini avec ta maman. Que tu n'en auras jamais fini, chéri, et que tu écris pour elle. C'est ça, le roman, pour toi, chéri. C'est ta mère, c'est ton chemin, ta fêlure, mais je peux me tromper.

— Françoise Verny

Je vous parle de Françoise Verny juste après.

Le père, Henri Queffélec, est un écrivain célèbre considéré comme LE grand romancier maritime du XXe siècle, auteur de plus de 80 livres et salué à plusieurs reprises par des Grands Prix de l’Académie Française. Yann Queffélec éprouve une immense admiration pour ce père mais ce père est profondément dérangé par l’affection de son fils. Yann Queffélec exprime franchement sa douleur “d’avoir eu un père tel que j’ai eu et que j’admirais par-dessus tout. Un père qui ne m’aimait pas”.

Mais revenons à notre marin, “à genoux sur la jetée Bourdelle mitraillée par les embruns et la pluie”. Son voilier est défoncé. “À travers la rafale, deux yeux fixent les (siens)”. Entre deux paquets de mer, il entend cette déclaration :

Toi, chéri, tu as une gueule d'écrivain !

Alors Françoise Verny, c'est qui ?

Personne ne m'a présenté mon éditeur, personne sinon la mer, la fortune de la mer, en mai 1978. Je l'ai ramassé sur la jetée comme un gros oiseau noir bousculé par le vent ou bien c'est lui qui m'a ramassé, oiseau dépenaillé, je ne sais plus.Françoise Verny : ma Françoise Verny.

— Yann Queffélec

Neuf ans d'amitié fantastique à la vie à la mort. Françoise Verny :

  • c’est la directrice littéraire des éditions Grasset ;
  • c’est “la maman des auteurs”, des “écrivains en souffrance” ;
  • c’est “la papesse du roman” ;
  • c’est celle qui donne envie de se surpasser ;
  • c’est celle qui ouvre des horizons ;
  • c’est celle “qui avait une bête noire, en mode whisky, c’était la femme d’écrivain” ;
  • c’est celle qui ne donne pas de conseils mais de l’énergie.

Vous l’aurez compris, ce livre est également un vibrant hommage à Françoise Verny, à LA Françoise Verny de Yann Queffélec.

Yann Queffélec : Naissance d’un Goncourt

Le Charme noir est paru en septembre 1983. Et il faut se remettre au travail. Écrire un deuxième roman. Maintenant.

Je veux ton livre !

— Françoise Verny

Françoise Verny le bombarde de questions, comme par exemple :

  • Est-ce que tu as une idée de ce que tu veux raconter dans ce roman ?
  • Ça me plait, une histoire. L’histoire de qui ?
  • Tu connais son prénom ?
  • Bob… Tu penses à quel genre d’histoire ?
  • Qu’est-ce qu’il a cet enfant ? Il est fou ?
  • D’accord, chéri, continu. Ça te vient d’où, le mélo ?
  • Qu’est-ce qu’il nous raconte ce Bob ? Tu le connais ?
  • Je veux connaitre cette femme, elle est bouleversante, une mère en plus. Qu’est-ce qui c’est passé entre Bob et sa mère ?
  • Qu’est-ce qu’il lui reproche à sa mère ? Il est où le père ? En prison ? Il est mort ?
  • Fous-nous la paix avec ta première phrase, laisse parler cette femme. Tu t’imagines ce qu’elle doit souffrir ? Qu’est-ce qu’il a ce gosse ? Qu’est-ce qu’il peut bien avoir ? On se demande ce qu’il a, tu te rends compte ? C’est ça, le sens du roman, et c’est formidable.

Nous assistons ainsi au travail entre l'auteur et son éditrice. Elle ne le lâche pas. Tandis que l’une questionne, l’autre poussé dans ses retranchements résiste. Le lendemain matin, la séance reprend et Yann Queffélec est sommé de rédiger un résumé.

Un résumé oui, comme pour la rubrique des chiens écrasés, si tu vois ce que je veux dire. Un fait divers, ça tient en cinq lignes, un roman, c'est un fait divers. Je t'attends dimanche à 17 heures, à la maison avec tes cinq lignes, et pas un mot de plus.

— Françoise Verny

Yann Queffélec sera-t-il au rendez-vous ? Va-t-il écrire ses cinq lignes ? Va-t-il écrire son roman ? Oui, bien sûr et le nouveau roman, Les Noces barbares paraît le 30 août 1985. Le prix Goncourt 1985 est né.

Bravo, chéri, bravo, je suis très contente... Ah ben dis donc, tu m'énerves ! Si j'avais su que tu allais me faire pleurer comme ça, je ne t'aurais pas dit que tu avais une gueule d'écrivain !

— Françoise Verny

Le prix Goncourt : Les Noces barbares

L'héroïne s'appelle Nicole. Elle est amoureuse d’un soldat américain aux yeux verts. L'histoire se déroule dans les années 60.

À treize ans, bientôt quatorze, elle en paraissait dix-huit avec ce corps déjà mûr, cette bouche sanguine, ces yeux bleus en amande, et ces longs cheveux vermeils comme un feu sur les épaules.

— Extrait

Ce soir-là elle a rendez-vous avec Will, le soldat américain. Will lui a promis le mariage. Elle a tout manigancé pour déjouer la vigilance de ses parents et partir le rejoindre.

Qu'il faisait bon rêver à Will.Qu'il faisait bon se préparer tandis que l'imagination divaguait.

— Extrait

Mais Will n'est pas l'homme qu'il prétendait être. Nicole est violée.

Ludovic est le fruit de cette funeste soirée.

Garçonnet longiligne au visage émacié. Il avait les épaules tombantes, les bras musclés, les cheveux châtain clair (...). Les yeux étaient verts, démesurément. Le regard s'y mouvait, craintif, comme une bête forcée.

— Extrait

Ludovic est l’enfant de la honte : rejeté par sa mère, maudit par ses grands-parents, détesté par tous. Ludovic est enfermé au grenier. La porte est fermée à clé. En permanence.

Depuis sept ans qu'il vivait au bord de la mer, Ludovic ne l'avait jamais vue. Il l'entendait. Mais au grenier la lucarne donnait sur la cour, sur le fournil, et là-bas sur des pins monotones que les brouillards matinaux calfeutraient.

— Extrait

Nicole ne supporte pas cet enfant. Elle le rejette perpétuellement. Elle réussit à s'en débarrasser en le plaçant dans une institution pour débiles légers.
Une femme peut-elle aimer son enfant lorsqu’il est le fruit d’un viol ?

Ludovic adore sa mère. Il attend perpétuellement un signe d’amour. Il est étrange, il est bête, dit-elle. Et ils sont tous d’accord ou presque.
Un enfant privé d’amour maternel peut-il se construire normalement ?

Lisez Les Noces barbares, un roman dur, un roman magnifiquement écrit, un roman bouleversant.

La Lecture

Auteur

Nathalie CARON

Hola ! je suis Nathalie, Rédactrice Web SEO et Auteure du blog Oser Ecrire. L'écriture est au coeur de ma vie.